Les jeunes et le milieu du travail
Le Tim Hortons de Saint-Sauveur offre à ses clients une carte Tim de 25$ s’ils leur réfèrent un employé. Tous les moyens semblent bons pour faire face à la pénurie de main-d’oeuvre.
La situation est actuellement très difficile dans plusieurs secteurs touristiques, dont ceux de la restauration et de l’hôtellerie. Étant des domaines souvent occupés par des étudiants, on a tendance à pointer la jeune génération du doigt, ainsi que les effets pervers de la PCU. Est-ce qu’on emprunte un chemin trop simple pour expliquer un phénomène beaucoup plus complexe? Considérant que la pénurie existait bien avant la pandémie, le rapport qu’entretiennent les jeunes vis-à-vis du travail pourrait-il plutôt justifier l’enjeu actuel? Nous discutons de ces questions avec le sociologue Mircea Vultur, spécialiste de l’insertion professionnelle et du rapport au travail des jeunes à l’Institut national de la recherche scientifique.
Pour ce dernier, la PCU a eu pour effet d’aggraver une problématique déjà existante, sans être « la source du problème ». Le sociologue nous amène vers deux autres formes d’explication : la première est structurelle et la seconde est sociale.
Déséquilibre dans la structure
Mircea Vultur observe une inadéquation entre l’offre et la demande. « Le profil de travailleur que l’employeur recherche ne correspond pas à celui que la maind’oeuvre peut offrir », résume-t-il. Il devient donc difficile de combler les postes disponibles, d’autant plus que la pandémie a entraîné une nouvelle répartition des emplois et de nombreuses réorientations de carrière.
Il existe par exemple un déséquilibre entre le niveau de formation des travailleurs et les critères d’employabilité. Monsieur Vultur explique que les gens sont de plus en plus formés et éduqués, mais que les entreprises recherchent encore en grande majorité des gens possédant une scolarisation minimale. « 75% des entreprises au Québec cherchent des jeunes qui ont un secondaire 5 ou moins », précise le sociologue.
Les jeunes et le travail
Mircea Vultur a contribué à un travail de recherche intitulé « Valeurs et attitudes des jeunes travailleurs à l’égard du travail au Québec : une analyse intergénérationnelle ». Les résultats, publiés en 2012, révélaient des attentes diversifiées envers les milieux de travail. Chez les 18 à 34 ans, la signification principale du travail était l’argent (39%), la réalisation personnelle (34%), la reconnaissance (10%), servir la société (10%) et le contact (7%).
Le rapport qu’entretiennent les jeunes avec le travail s’est transformé au cours des dernières années, créant un contraste avec les générations précédentes. « Avant, on se définissait beaucoup par l’identité au travail, maintenant, on a des identités multiples. On n’est pas seulement un travailleur, on a une identité dans la sphère amicale, dans la sphère communautaire ou encore dans la sphère sportive. » Résultat? Les valeurs ont changé. Les aspirations et les attentes aussi. Les jeunes n’acceptent plus n’importe quel emploi et ne perçoivent plus le travail comme étant un « devoir social ». La jeune génération ne recherche plus seulement un salaire, mais aussi une expérience humaine de qualité. « Les jeunes sont dans une logique de travailler pour vivre et non pas vivre pour travailler », note le sociologue.
La carrière en voie de disparaître?
Cette nouvelle dynamique entraîne toutefois des questionnements : les jeunes sont-ils trop exigeants? En réalité, leur attitude est plutôt rationnelle, compte tenu de l’état actuel du milieu de l’emploi. Mircea Vultur explique que la notion même de carrière est devenue « obsolète ». Le trajet professionnel classique qui comprenait une ascension graduelle de quelques décennies au sein d’une même entreprise disparait. Non seulement les jeunes carburent aux nouveaux défis et n’aspirent plus à cette trajectoire, mais les entreprises aussi ne sont plus en mesure de garantir une telle stabilité. Le milieu du travail se développe extrêmement rapidement. Des dizaines d’emplois n’existaient même pas il y a 15 ans. Ainsi, les jeunes seront moins portés à accepter certaines conditions, dans l’optique d’obtenir un meilleur poste dans quelques années. Cette perspective à long terme n’existe plus. « Quand ils entrent dans une entreprise, ils veulent tout, tout de suite. De l’autonomie, des responsabilités, de la latitude, parce que l’employeur n’est pas en mesure de leur garantir ce qu’ils veulent plus tard. Ils sont assis sur le siège éjectable. C’est une attitude rationnelle et si ça ne les convient pas, ils savent aussi qu’ils peuvent aller ailleurs », observe Mircea Vultur.
Révolutionner la culture
Le nouveau rapport au travail des jeunes nous amène naturellement à repenser certains principes d’entreprise et les dynamiques sociales. Les climats de travail toxique sont dénoncés. Certaines attitudes sont remises en question. Il y a évidemment un clash entre deux cultures de travail, un choc générationnel, remarque Mircea Vultur. Alors qu’auparavant, il fallait simplement obéir aux ordres d’un supérieur, aujourd’hui, « pour effectuer une opération, il faut qu’elle soit conforme aux valeurs ».
On vit un basculement. « Avant, on disait : tu exécutes et tu ne penses pas. Maintenant, il faut penser pour pouvoir exécuter. » Caractérisée par l’affect et la subjectivité, la jeune génération risque de « révolutionner les formes et les interactions sociales dans les milieux de travail. »